Billets Physique

L’étau se resserre autour du Higgs fin 2011 (1/2)

En 2011, le CERN annonçait qu’on ne pouvait encore rien dire par manque de données. De nombreux billets de blogs ont alors parlé de cette « non-découverte » comme Tom Roud dans ce billet que nous republions ici. Ni boson de Higgs, ni supersymétrie : les nouvelles venant du LHC sont surprenantes à défaut d’être encourageantes. Au […]

En 2011, le CERN annonçait qu’on ne pouvait encore rien dire par manque de données. De nombreux billets de blogs ont alors parlé de cette « non-découverte » comme Tom Roud dans ce billet que nous republions ici.

Ni boson de Higgs, ni supersymétrie : les nouvelles venant du LHC sont surprenantes à défaut d’être encourageantes. Au point que la presse grand public (en l’occurrence la BBC et son correspondant science Pallab Ghosh, ici et ) commencent à s’emparer de l’affaire, et que les physiciens les plus médiatiques commencent à sortir du bois (pas les Bogdanoff, mais Woit pour les antis et par exemple Randall pour les pros).

Alors, puisque nous sommes encore à l’heure de la science-fiction au sens propre, examinons le scenario du pire : et si le LHC ne trouvait pas le Higgs ? Et si les superparticules demeuraient introuvables ?

Un petit point sur l’état de la science d’abord.

On pourra en guise d’introduction jeter un coup d’oeil sur les data de cette présentation d’Eliam Gross (via @zyot) pour voir que, à l’heure actuelle, les expériences faites au LHC fittent complètement la théorie actuelle du modèle Standard, sans boson de Higgs, là où on aurait aimé voir des déviations suggérant l’existence de la particule. Ghosh résume :

According to Cern, Atlas and CMS have excluded the existence of a Higgs over most of the mass region 145 to 466 GeV with 95% certainty.

On ne peut pas totalement exclure l’existence du Higgs à ce stade, mais simplement il semble être dans des régions d’énergie plus difficiles à regarder. Stephen Hawking tient toujours son pari (la réponse de Higgs n’est pas inintéressante sur l’esprit un peu malsain qui règne dan la physique théorique)

Publié par Michnik, 12 juil..

Côté supersymétrie, pour l’instant les résultats sont assez clairs : même si on ne peut exclure le cadre général, les expériences ont exclu les versions les plus simples de la supersymétrie, cette théorie prédisant l’existence de nouvelles particules qui expliqueraient certains trous de la théorie actuelle.

Dr Joseph Lykken of Fermilab, who is among the conference organisers, says he and others working in the field are « disappointed » by the results – or rather, the lack of them.

« There’s a certain amount of worry that’s creeping into our discussions, » he told BBC News.

The worry is that the basic idea of supersymmetry might be wrong.

« It’s a beautiful idea. It explains dark matter, it explains the Higgs boson, it explains some aspects of cosmology; but that doesn’t mean it’s right.

« It could be that this whole framework has some fundamental flaws and we have to start over again and figure out a new direction, » he said.

 

Vers une nouvelle physique ?

Le côté positif de l’histoire serait que la physique des particules moderne ressemblerait à un champ de ruines à reconstruire. Le mécanisme de Higgs a été proposé il y a plus de 40 ans, de nombreuses générations de physiciens ont assimilé ces idées, extrapolé sur ces mécanismes pour mettre au point de nouvelles théories, toujours plus complexes, toujours plus mathématisées et toujours plus inaccessibles expérimentalement. Si les idées de base des théories modernes ne sont pas confirmées expérimentalement, cela signifie que tout cet effort passé n’aura pas servi à grand chose dans l’explication de la nature même. Une bonne nouvelle pour les jeunes et les théories « alternatives », un boom théorique à prévoir, une physique qui fera peut-être de nouveau la une des journaux, avec de nouvelles têtes, de nouvelles théories.

Pourtant, cela serait à mon sens in fine une mauvaise nouvelle.

Car si les théories actuelles s’effondrent, l’effort centenaire de physique des particules aura de plus en plus de mal à justifier sa propre existence auprès du grand public. Le Higgs était l’argument principal de communication pour le LHC, il vaudrait mieux pour tous qu’il soit rapidement trouvé. Dans l’hypothèse contraire, il sera difficile de lutter contre l’image d’Epinal des physiciens théoriciens, doux rêveurs très intelligents mais en réalité un peu déconnectés des réalités du monde. Et, partant, il sera délicat de justifier rétrospectivement le financement de décennies d’équipement et de salaires pour s’apercevoir, en fait, que le travail exploratoire théorique ainsi financé est bon pour la poubelle. Si le boson de Higgs, « particule de Dieu », ressemble de plus en plus à la théière de Russell flottant autour de Mars, le CERN risque d’avoir un destin à la NASA.

Mais l’échec éventuel d’un LHC pourrait causer des remous pour la science en général. D’abord, pour la quête de la science pour la science.

Les vertes plaines à 8 TeV du LHC. ©Lison Bernet

On avait ici pris la défense des coûteux grands équipements de physique, mais reste que les budgets alloués à la science en général sont limités, et qu’on peut parfois penser que l’allocation des budgets entre disciplines et sous-disciplines n’est peut-être pas optimal, y compris pour la progression du savoir en général. J’adorerais savoir si le Higgs existe, mais à choisir ma brisure de symétrie, j’aimerais mieux avoir des modèles physiques de croissance des organes, ou voir par ailleurs le développement d’un équivalent hydrodynamique de la mécanique quantique. Le problème majeur si le Higgs n’est pas trouvé, en période de crise, c’est que les politiques, à défaut de « réallouer » des ressources d’une discipline à une autre, auront beau jeu d’en profiter pour réduire les budgets de la science en général. Masse critique et histoire obligent, on entendra certainement les cris de la masse de physiciens des hautes énergies étranglés financièrement. Il est moins sûr qu’on entende les quelques underdogs ne pouvant défendre leur pré carré.

Enfin, d’un point de vue plus sociétal encore, à l’heure où créationnistes et climato-sceptiques aiment à jouer sur le sens du mot théorie et à critiquer le consensus scientifique, il serait assez catastrophique que la physique, la science majeure du XXième siècle, la plus mathématisée et la plus prédictive, nous ayant apporté la majorité des innovations technologiques de ce siècle, se retrouve bec dans l’eau du point de vue théorique. Nous avons besoin de la physique, pour résoudre les problèmes énergétiques et le réchauffement climatique.

Bref, pour la science en général, il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour que le Higgs se dévoile et que les théoriciens ne se soient pas trompés.

À propos de l'auteur

La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.