Nous avons tendance à accorder plus de crédit aux avis qui vont dans le sens de nos idées préconçues, et moins à ceux qui nous dérangent. Quel mécanisme cérébral rend compte de cette différence de traitement de l’information par notre cerveau ? Une étude publiée par une équipe de l’University College de Londres (UCL) dans la revue britannique Nature Neuroscience (janvier 2020) permet de mieux appréhender ce processus neurologique.

A l’air des fake news (ou infox) et des réseaux sociaux, les exemples de ce que la neuropsychologie nomme « biais de confirmation » sont légion. Théorisé dans les années 1960 par le chercheur britannique Peter Wason (1924-2003), le biais de confirmation rend compte du fait qu’on apporte plus de crédit à une information qui va dans le sens de nos idées préconçues.
Cela s’illustre en politique où une information qui va à l’encontre de nos schémas d’idée sera questionnée (« quelles sont vos sources ? Il doit y avoir un biais de la prise d’image ou la sélection de l’information ») voire vite balayée alors que le moindre exemple insignifiant, la moindre information (peut-être fausse), les confirmant sera acceptée sans question, vite partagée sur les réseaux sociaux. Tout ce qui ne correspond pas aux idées d’un parti ou mouvement politique est rapidement traité d’infox par ce dernier.
De même au tribunal, où un témoignage faible mais confortant l’avis préconçu du jury sera accepté plus volontiers que des détails dérangeants. Le film 12 Angry Men (Douze Hommes en colère) réalisé par Sidney Lumet en 1957 illustre cette situation.
On pensera aussi aux croyances au paranormal, à la superstition, à l’adhésion aux thèses complotistes. De même, bien que les arguments en faveur d’un réchauffement climatique d’origine humaine s’accumulent, la part de la population rejetant cette idée est constante (4% aujourd’hui en 2018 ; voir l’étude de la Fondation Jean-Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch réalisée en 2018 sur l’adhésion aux thèses complotistes).
Toutes les communautés sont sensibles à ce biais. Un médecin pourra avoir tendance à ignorer des symptômes qui entrent en contradiction avec ses conclusions, un scientifique à mettre de côté des données qui n’entrent pas dans son modèle.
La connaissance de ce biais renforce la nécessité d’un débat argumenté et d’une prise de décision collective entre les différentes écoles ou mouvements d’une communauté, quelle soit scientifique ou politique par exemple.
Différents mécanismes neuropsychologiques ont été proposés
Trois modèles neuropsychologiques ont été proposés pour rendre compte du biais de confirmation.
Selon le premier modèle, toute information qui va à l’encontre des nos idées préconçues est rejetée d’emblée (nous accordons plus d’attention aux informations qui vont dans notre sens). Autrement dit, les régions cérébrales impliquées dans l’attention ne prennent pas compte d’une nouvelle information divergente.
Selon un deuxième modèle, nous apportons une attention accrue à une information divergente mais au moment de prendre une décision nous la rejetons.
Selon un troisième modèle, nous accordons autant d’attention aux informations qu’elles soient conformes ou non à nos idées préconçues. Mais au moment de la prise de décision, nous rejetons celles qui ne vont pas dans notre sens.
Ces trois modèles diffèrent donc par l’attention que nous portons aux informations (quelles soient conformes à nos idées préconçues ou non) et par notre jugement (tenant en compte les idées préconçues ou non).
La compréhension de ces mécanismes n’est pas anodine. Si nous accordons beaucoup d’attention aux idées qui sont non-conformes à nos idées mais que nous les rejetons ensuite, la lutte contre le complotisme doit s’adresser au jugement et non à l’attention. Si au contraire une idée non conforme est rejetée d’emblée, il s’agit de capter l’attention du public hostile.

Nous accordons peu d’importance aux idées contradictoires dans notre jugement
L’équipe de chercheurs a souhaité répondre à cette question, en identifiant quel mécanisme cérébral est en jeu.
Ils ont tout d’abord établi un modèle expérimental, capable de faire intervenir le biais de confirmation (voir Figure). Ils ont reçu 42 participants, par binôme. Chaque personne était tout d’abord présentée à son binôme puis les participants étaient seuls dans une pièce pour réaliser un jeu. Ce jeu consiste à voir des images de propriétés immobilières associées à une valeur d’achat et à estimer si leur valeur réelle est plus ou moins élevée, puis miser sur cette valeur (si je suis confiant dans mon estimation, je mise beaucoup, sinon peu). A la fin du jeu, si l’estimation est correcte le participant reçoit sa mise (sinon il la perd).
Le participant revoit ensuite les images, ses estimations et ses mises. Son présentées en parallèle les estimations et les mises de l’autre participant (en fait il s’agissait à l’insu des participants d’un algorithme, d’accord avec le participant dans 50% des cas et en désaccord dans 50% des autres cas). Lors de ce second tour, les participants pouvaient changer leur mise.
Le biais de confirmation intervient lors de ce second tour : si l’autre participant a fait la même estimation que moi, j’augmente la mise de 8% (car ma confiance est augmentée), sinon je la diminue peu (de 4%). De plus, les chercheurs ont observé que la valeur de la mise de l’autre participant est corrélée au jugement (importance du changement de mise du participant) seulement si l’estimation était la même. Autrement dit la confiance qu’a l’autre participant ne compte que s’il est du même avis que moi ; si son avis diffère, peu m’importe s’il a confiance ou non dans son avis.
Ainsi, une attention est portée au jugement de l’autre (les auteurs ont vérifié que les participants mémorisent les estimations et les mises des autres joueurs qu’elles soient divergentes ou non) mais le jugement prend surtout en compte les estimations qui sont conformes aux idées préconçues (à ce moment-là, plus l’autre participant est confiant, plus je le suis moi-même).
Identification des régions cérébrales impliquées dans le biais de confirmation
Au cours de l’expérience, les chercheurs ont pratiqué de l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique ou IRM fonctionnelle (voir l’article Neurones cherchant emploi). Cette technique permet d’identifier les régions cérébrales dont l’activité augmente ou diminue au cours d’une tâche.
Ils ont observé que des régions du cortex cérébral préfrontal et du cortex cérébral cingulaire changeaient d’activité au cours de l’expérience. Ces régions sont impliquées dans la prise de décision (voir l’article Neurones cherchant emploi) et le changement d’avis. Certains dysfonctionnements de ces régions sont associés à une inflexibilité d’avis. Le cortex cérébral préfrontal est situé à l’avant du cerveau et particulièrement développé chez l’humain. Il est impliqué dans les tâches cognitives complexes et c’est une des dernières régions cérébrales à devenir mature, vers 27 ans.
Les chercheurs ont mis en évidence que l’activité d’une région du cortex cérébral préfrontal change avec la mise de l’autre joueur uniquement s’il était du même avis. Autrement dit, cette région ne s’active que si l’autre participant est du même avis. Si tel est le cas, plus l’autre participant a misé, plus cette région s’active. Étant donné que cette région du cortex cérébral préfrontal est impliquée dans la prise de décision, on peut envisager ce mécanisme : le jugement ne prend en compte que les avis convergents (les divergents sont ignorés, cette région ne s’active pas) et la force de ces avis influe sur la force du jugement.
Les chercheurs ont aussi mis en évidence qu’une autre région cérébrale, située dans le cortex cingulaire, traite toutes les informations de manière égale. Cela explique probablement pourquoi les participants portent une attention égale à toutes les informations et s’en souviennent ; cette région n’est toutefois pas impliquée dans la prise de décision.
En conclusion, les informations conformes ou non avec nos idées préconçues sont traitées de manière égale dans certaines régions cérébrales (comme dans le cortex cérébral cingulaire) mais les régions impliquées dans la prise de décision (notamment dans le cortex cérébral préfrontal) ne prennent en compte que les avis conformes à nos idées.
On peut se demander pourquoi la sélection naturelle a permis la sélection d’un tel mécanisme de rejet d’opinions divergentes. L’importance de l’appartenance à une communauté (avec le moins de divisions possibles) ou de l’apprentissage (ne pas contester les notions transmises par le groupe) ? On peut se demander aussi s’il existe une certaine plasticité cérébrale liée au changement d’avis, si on peut apprendre à accepter des opinions différentes ou des éléments qui contredisent nos schémas, à les prendre en compte dans nos jugements. Dans tous les cas, les suites données à cette étude pourraient permettre de décrire plus précisément les mécanismes cérébraux impliqués dans d’autres situations faisant intervenir le biais de confirmation (appartenance à des sectes, adhésion aux thèses complotistes).
Sources :
Kappes A, Harvey AH, Lohrenz T, Montague PR, Sharot T (2020) Confirmation bias in the utilization of others’ opinion strength, Nature Neuroscience 2020 Jan;23(1):130-137
Wason C. (1960) On the failure to eliminate hypotheses in a conceptual task, Quarterly Journal of Experimental Psychology 12 (3): 129–40
Les théories du complot bien implantées au sein de la population française (2018), Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/07/les-theories-du-complot-bien-implantees-au-sein-de-la-population-francaise_5238612_3224.html