C’était plutôt très bien raconté : le jeune Darwin, sa famille, son Beagles… Le tout assorti de quelques piques assez mystérieuses adressées à un historien des sciences que, après documentation, j’imagine être André Pichot (cf. [1]). Ensuite on a eu un résumé synthétique des principes de l’évolution darwinienne à l’aide d’un schéma très clair – paraît-il – qu’il avait hélas oublié d’amener, et que du coup il décrivait au fur à mesure… Ce qui rendait l’ensemble nettement moins limpide. Mais enfin bon : divergence et sélection, on commence à connaître un peu l’histoire !
Là où ça devenait plus nouveau (pour moi, qui n’avais pas lu Patrick Tort) c’est quand il a été question de l’effet réversif de l’évolution. Là, mon oreille s’est dressée. En gros, il s’agissait d’expliquer comment la sélection naturelle peut laisser se développer des comportements sociaux (la protection des plus faibles) et moraux (l’altruisme) apparemment contre-productifs du point de vue individuel.
Les hommes les plus braves (…) qui risquent volontiers leur vie pour leurs semblables, doivent, en moyenne, succomber en plus grande quantité que les autres. Il semble donc presque impossible (…) que la sélection naturelle puisse augmenter le nombre d’hommes doués de ces vertus. [2]
La sélection naturelle, principe directeur de l’évolution impliquant l’élimination des moins aptes dans la lutte pour la vie, sélectionne dans l’humanité une forme de vie sociale dont la marche vers la civilisation tend à exclure de plus en plus, à travers le jeu lié de l’éthique et des institutions, les comportements éliminatoires. En termes simplifiés, la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Comment résoudre cet apparent paradoxe ? [3]
Notre instinct de sympathie nous pousse à secourir les malheureux ; la compassion est un des produits accidentels de cet instinct que nous avons acquis, au même titre que les autres instincts sociaux dont il fait partie. (…) Nous devons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. Il semble toutefois qu’il existe un frein à cette propagation, en ce sens que les membres malsains de la société se marient moins facilement que les êtres sains. Ce frein pourrait avoir une efficacité réelle si les faibles de corps et d’esprit s’abstenaient du mariage ; mais c’est là un état de choses qu’il est plus facile de désirer que de réaliser. [2]
Mais revenons au paradoxe. Patrick Tort systématise la pensée de Darwin (qui est tout de même beaucoup plus flou sur la naissance du sens moral) dans cette notion d’effet réversif de la sélection naturelle : plus les groupes humains s’organisent, plus l’instinct social est avantageux pour l’individu, plus il est donc sélectionné, jusqu’à arriver à l’état de civilisation dans lequel les différentes formes morales et institutionnelles de l’altruisme s’épanouissent, modifiant le jeu même de la sélection naturelle.
La sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des « faibles », l’emportant, parce qu’avantageuse, sur sa forme ancienne, qui privilégiait leur élimination. L’avantage nouveau n’est plus alors d’ordre biologique : il est devenu social. [3]
[1] Le Monde – L’éternelle querelle autour de Darwin
[2] Charles Darwin – La filiation de l’homme
[3] Institut Charles darwin – Effet réversif de l’évolution
Voir aussi : 112 – Coévolution gène-culture